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28 Mai 2023
La Turquie a survécu jeudi sous l'état d'urgence, qui n'a pas empêché son président d'appeler son « cher peuple » à rester mobilisé dans les rues, après le putsch raté qui a fait 265 morts selon un bilan nettement revu à la baisse.
Le gouvernement turc avait fait état de plus de 300 morts dans la nuit dramatique du 15 au 16 juillet, mais, sans fournir d'explication, il a fortement abaissé le chiffre des pertes du côté des mutins, de 104 à 24. Les combats ont fait 241 morts du côté loyaliste, a annoncé le vice-premier ministre Numan Kurtulmus.
L'état d'urgence, qui n'avait plus été décrété depuis près de 15 ans, a été activé pour trois mois et prévoit notamment des restrictions aux libertés de manifester ou de circuler.
Le vice-premier ministre a cependant déclaré aux médias turcs que le gouvernement espérait pouvoir le levier « dans un mois ou un mois et demi », « si les conditions reviennent à la normale ».
M. Kurtulmus a annoncé que la Turquie allait déroger à la Convention européenne des droits de l'homme, évoquant l'exemple de la France qui a fait de même au titre de l'article 15 de la CEDH après les attentats de Paris en novembre 2015.
Cet article reconnaît aux gouvernements, « dans des circonstances exceptionnelles », la faculté de déroger, « de manière temporaire, limitée et contrôlée », à certains droits et libertés garantis par la CEDH.
Cette sanction prémunit donc la Turquie contre d'éventuelles condamnations de la CEDH alors que des purges considérables sont en cours dans l'armée, la justice, la magistrature, les médias et l'enseignement.
M. Kurtulmus a assuré qu'Ankara n'imposerait pas de couvre-feu.
L'ampleur de la purge en cours en Turquie suscite l'inquiétude à l'étranger, Berlin ayant encore appelé jeudi Ankara à respecter « la juste mesure des choses ».
« Traîtres » terroristes
Malgré les restrictions au droit de manifester invoqué par l'état d'urgence - que le Parlement devait avaliser dans la journée comme une formalité - de nombreux Turcs ont reçu un texte de « RTErdogan », les appelants à continuer à descendre dans la rue pour résister aux « traîtres terroristes ».
Une expression faisant référence aux partisans du prédicateur exilé aux États-Unis, Fethullah Gülen, accusés d'avoir noyauté l'État et fomenté le putsch.
Ankara demande à la justice américaine de lui remettre le septuagénaire, affirmant avoir transmis des preuves de son implication, qui n'ont toujours pas été rendues publiques.
« Mon cher peuple, n'abandonne pas la résistance héroïque dont tu as fait preuve pour ton pays, ta patrie et ton drapeau », « Les propriétaires (des villes) ne sont pas les chars. Les propriétaires sont la nation », écrit dans son texte le président.
Mercredi, il s'était traduit à la foule de ses partisans pour le cinquième soir consécutif et avait dit sa conviction que le coup d'État n'était « peut-être pas fini ».
La purge continuait à plein régime. Quelque 55 000 personnes, militaires, juges, professeurs, ont été arrêtées, suspendues ou limogées. Jeudi, selon l'agence Anadolu, 109 généraux ou amiraux restaient en détention, tout comme une trentaine de magistrats. Le ministère de la Défense a par ailleurs suspendu 262 juges et procureurs militaires.
Humiliés et brutalisés
« Nous continuerons à nous battre pour éliminer ces virus des forces armées », a répété mercredi M. Erdogan.
Des figures emblématiques de l'armée arrêtées sont désormais vues avec haine et comme des traîtres, défilées devant les médias d'État, humiliées et probablement brutalisées.
Tel est le cas de l'ancien chef de l'armée de l'air, le général Akin Oztuk, photographié hagard avec un bandage sur l'oreille, puis avec un œil au beurre noir.
Mais Ankara assure toujours ignorer qui a été sur le terrain le grand organisateur du coup d'État.
« On ne sait pas. Ce n'est pas clair », a dit M. Kurtulumus aux journalistes étrangers. « Il y a tant de noms dans les dossiers, tant de personnes de niveau moyen et élevé. »
Huit militaires turcs ayant fui en Grèce samedi après le putsch avorté en Turquie et réclamés par Ankara ont été condamnés jeudi par un tribunal grec à deux mois de prison avec sursis.
Comme l'opposition s'était rangée derrière le président Erdogan après le putsch, l'état d'urgence a rencontré le soutien quasi unanime de la presse.
« Les traîtres du FETÖ », l'acronyme utilisé pour désigner l'organisation de Gülen, « seront purgés de la fonction publique », assénait Zaman. Ce quotidien, qui fut proche du mouvement gulénistes, a été repris en main par l'exécutif turc en mars.
Mais des Stambouliotes interrogés dans la rue par l'AFP s'inquiétaient. Hasan, 60 ans redoutait « une période plus sombre » : « L'état d'urgence n'a jamais servi la démocratie, l'économie, le développement dans aucun pays. »
L'abc de l'état d'urgence turc
L'état d'urgence annoncé donne des pouvoirs étendus à l'exécutif en lui permettant de prendre des décrets ayant « force de loi », selon la Constitution.
« Nous resterons un système démocratique parlementaire, nous ne reculerons jamais là-dessus », a assuré le président Erdogan mercredi soir sur Al-Jazeera.